Décennie après décennie, le succès du champagne ne se dément pas, surtout au Québec. Son côté festif y est évidemment pour beaucoup. Mais depuis une dizaine d’années, les rappeurs s’en sont donné à cœur-joie en termes de placements de produits. Cristal par-ci, Armand de Brignac par-là, bref, le champagne est depuis affublé d’un petit côté « bling-bling » qui nous ferait presque oublier le travail des Champenois qui produisent de bien belles choses, sans tambours, ni trompettes.
Tour d’horizon à l’occasion d’une dégustation des champagnes Deutz, qui se tenait récemment à Montréal, et de l’événement Montréal en Champagne, une soirée de dégustation unique au cours de laquelle une vingtaine de grandes et de petites maisons de champagne se rencontraient, en dehors de leur territoire de prédilection. Une belle occasion de discuter de l’avenir du vin effervescent le plus connu de la planète.
Table des champagnes Joseph Perrier lors de Montréal en Champagne
Confrontées à une concurrence féroce entre elles, les maisons de champagne, aussi conservatrices soient-elles, doivent malgré tout être attentives à certaines tendances et à certains marchés. De l’avis de la majorité, il semble que oui. Mais faut-il pour autant succomber au chant des sirènes du clinquant, d’un packaging accrocheur ou d’une autre manière d’aborder la vinification ? Selon Michel Drappier, de la maison du même nom, son produit, qui peut se vanter de trois siècles d’existence, reste plutôt sobre dans son habillage. Le seul changement qu’il y a apporté est la contre-étiquette, rendue plus informative, avec l’origine du vin, le sol, l’assemblage et le dosage. « On est plus dans la gastronomie que dans les discothèques et le glamour », explique-t-il.
Vitesse de réaction
C’est le genre de commentaires que l’on entend aussi chez Joseph Perrier qui remplit, bon an mal an, environ 800 000 bouteilles du précieux liquide. On admet que la pression parfois médiatique pousse les plus petites maisons à devoir s’adapter aux tendances que sont le zéro dosage, voire la création de monocrus ou de monocépages. « Le marketing nous a poussés vers une évolution qui peut être bénéfique; mais on a beau vouloir changer le packaging en un mois, une cuvée prend quand même 3 ans à élaborer », constate Jean-Claude Fourmon, président de la maison. Donc, la machine de production ne peut pas forcément réagir au quart de tour au gré des tendances du marché ou des critiques du milieu.
La marque Joseph Perrier est malgré tout sortie des sentiers battus en produisant par exemple du demi-sec, plutôt destiné à une clientèle dite festive. La grande maison a même « transformé » un blanc de blancs d’un millésime plutôt banal (2010) en extra brut, avec un dosage de 5 grammes par litre. Le résultat fut étonnant et salué par la critique. Comme quoi, l’audace peut être payante au royaume du vin conservateur.
Et le bio, alors ?
Une façon de se différencier lorsqu’on n’a pas les budgets de promotion des géants comme Clicquot ou Mumm, c’est dans le vignoble. Chez De Sousa, une petite maison qui produit 100 000 bouteilles par année, on a pris le pari de la biodynamie il y a 16 ans. Une particularité assez rare dans l’appellation, puisque seulement 1 % des vignerons champenois cultiveraient en biodynamie. Selon Charlotte De Sousa, responsable des exportations, c’est un marché de niche qui ouvre certaines portes. Ce n’est pas un choix de marketing, selon elle : « On fait le bio parce qu’on aime ce travail. Le résultat en est un de respect du terroir, qui donne des vins plus minéraux et plus ciselés ». Reste ensuite le travail de promotion pour faire connaître le produit, par l’entremise de participations à des salons, des déplacements ailleurs dans le monde, sans oublier le bouche à oreille, qui rend parfois un fier service aux plus petites maisons.
Charlotte De Sousa, Champagne De Sousa
Le chemin du bio est aussi de plus en plus fréquenté par d’autres producteurs, comme Drappier. L’entreprise a une surface en conversion à ce mode de viticulture, et celle-ci augmente petit à petit. Cela reste une solution d’avenir pour le long terme, et les récentes années ont été plus difficiles à cause des changements climatiques qui compliquent la donne pour les cultivateurs.
Champagne Deutz, une approche étapiste
Avec un peu plus de 2 millions de bouteilles remplies annuellement, la petite maison Deutz est un bijou dans l’écrin champenois. Fondée en 1838, elle produit des champagnes ciselés issus d’un vignoble de 200 hectares, dont une quarantaine en propriété. On est bien sûr très loin des productions titanesques des autres maisons qui, littéralement « arrosent » tous les marchés internationaux. Dans le cas de Deutz, le nombre de bouteilles est limité à la superficie disponible.
Dégustation des champagnes de la maison Deutz
Et pas question de succomber à une production de masse qui risquerait de faire perdre la spécificité et l’authenticité de la maison, selon Elizaveta Le Floch, directrice des exportations. N’empêche : depuis 20 ans, Deutz a grandi petit à petit, et même si 60 % de la production est écoulée en France, la priorité reste le développement de l’exportation. Objectif : 50 % pour l’étranger, en tablant beaucoup sur le bouche à oreille et sur le pouvoir de séduction de ces produits raffinés pour séduire les sommeliers et autres connaisseurs du milieu du vin. L’argument principal de vente pour Deutz, c’est que le connaisseur va y trouver son compte en termes de complexité et d’élégance, alors que le consommateur, pas forcément averti, l’appréciera pour son accessibilité plaisante. Pas d’extravagances et pas question de suivre les modes; on mise plutôt sur constance et cohérence.
Pas juste du bling bling ?
C’est un autre son de cloche que chez Armand de Brignac, qui a soudainement émergé il y a quelques années dans la culture populaire « bling bling » lorsque le rappeur Jay-Z a exhibé dans un de ses vidéoclips une bouteille dorée ornée de l’as de pique. 8 ans plus tard, le rappeur achetait la marque. Selon Matt Ochse, directeur des champagnes Armand de Brignac pour le Canada, le choix de format de cette bouteille dorée et son as de pique est bien assumé par la maison. « C’est une cuvée prestige, donc de grande qualité. Le contenu est aussi exceptionnel que le contenant. » Le Canada semble succomber au succès de la marque, puisque le marché d’ici est maintenant émergent pour la maison.
La bouteille dorée et l’as de pique du Champagne Armand de Brignac
Bref, des étiquettes plus informatives, un cheminement vers le bio ou la biodynamie ou encore de nouveaux produits plus audacieux, le monde du champagne s’adapte, un jour à la fois. Qui s’en plaindra?
Dégustés récemment
Pol Roger, Champagne Brut, France, code SAQ : 00051953, 62,25 $
Voici l’un de mes champagnes favoris. Pas le moins cher, certes, mais toujours de qualité constante. Et puis, dépasser une ou deux fois par année les 60 $, ce n’est pas si dramatique quand l’occasion se présente. Pommes jaunes, baguette de pain fraîchement cuite, gourmand et élégant du début à la fin.
Bollinger, Spéciale Cuvée, Champagne, France, code SAQ : 00384529, 81,75 $ [Produit CELLIER en quantité limitée]
Attention, splendeur en bouteille ! On ne présente plus cette maison classique champenoise. Jolie robe dorée, symptomatique des cépages noirs (pinot noir 60% et 15% pinot meunier de l’assemblage). Du fruit mûr (pomme rôtie, pêche), des notes d’épices et arômes de brioche et de crème brûlée. Des bulles veloutées et belle longueur en bouche. Parfaite bouteille pour les fêtes.
Drappier, Brut nature Pinot noir, Zéro dosage, France, code SAQ : 11127234, 49,75 $
Un brut nature 100 % pinot noir. Presque pas de sucre résiduel ici. Alors que la moyenne des champagnes tourne autour des 10-12 grammes par litre, Drappier a baissé le niveau sous la barre des 4 grammes. Il en résulte un champagne vineux, brioché, consistant, ciselé et très digeste. Bravo!
Deutz, Brut classic, France, code SAQ : 10654770, 58,75 $ [Produit CELLIER en quantité limitée]
Une jolie fine bulle florale aux accents de pain grillé, de pommes jaunes et d’agrumes. On sent que le long mûrissement sur lies s’est imprimé dans l’ADN de ce vin effervescent raffiné.
Frédéric Arnould, de Toutsurlevin.ca pour exquis.ca, décembre 2017.
Le service du champagne